Veine

Pas de veine.
Rien n’afflue. Sècheresse ironique, sclérose d’une pensée élastique.
Je me sens de navet.
C’est pourtant moi qui l’ai proposé à l’envasement, ce mot aux multiples facettes et délicates pattes d’oie, tortueux reptile indigo qui mue dentelière, lacis de filaments nourriciers.

Déveine ! Il sommeille, un ru tari, sans rut aride.
Je tente d’embarquer sur un vaisseau d’émoi, sans toi ni loi pour un vagabondage dans les interstices, je frôle les adventices sans les trouver inventives.
Et si quelques vagues inspirations me projetaient vers les médias ? Croire subrepticement que je suis sous les feux de la… tempe ? Mais fi de battement.
Circulez, circulez, y a rien à voir !
Me voici bloquée par la valvule d’une idée fixe, comme un léger infarctus poétique,

Ô petite Saphène en voyage onirique
Tu conduis en douceur ton sang bleu méthylène
Dans les doigts de Sapho ton intima lyrique
S’ouvre telle une fleur au port de Mytilène …

Mais je n’accoste pas, et mon vaisseau coule.

Des veines.
Je tente d’actionner la pompe à souvenirs, qu’un reflux de temps glorieux envahisse enfin le glabre tissu conjonctif de mon présent, mais seule s’étend une feuillée blafarde.
Aucune garance ne colore ce réseau tentaculaire de serpentins avides, aucun timide rubis pour incarner l’inspir, encore moins de vers bordeaux pour assouvir les muses, pas plus de fraise écrasée bavant de la sinueuse langue en flux irrévérencieux, non, l’écrevisse est crue et le cinabre impur.

Déveine.
La pression presque inexistante, presque étale devient nauséeuse.
Le nœud de mots étranglés au croisement d’une artère artistique oscille soudain sous la poussée titanesque d’un flot d’adrénaline. La soupape a cédé.
Ce magma se trouve projeté en milliers de directions, m’entraînant au passage.

Vainement je tente de résister, perd mon sang-froid, cherche à attraper la moindre excroissance sur la paroi des canaux, un point d’interrogation, une virgule comme points d’ancrage, mais leur compliance visqueuse m’en empêche. Je file vers la cave des vocables entachés, des rêves palpitants, de perception coronarienne, de délire incertain, d’impulsion lymphatique, d’un souffle sanguin…

Un tsunami vermillon m’expulse sous la côte gauche du joueur de poker, entre deux rois de coeur et une poisseuse lame de poignard. Le tricheur a épuisé sa veine.

Eve de Laudec,
25 février 2013

Texte composé pour les vases communicants de mars 2013.

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