Il fait très froid ce matin. Pas plus de 15°, l’harmattan souffle à décorner les zébus.
Sur son cheich l’homme a enfilé un passe-montagne, qu’on devrait plutôt appeler un passe-dune, ce qui lui fait un couvre-chef pyramidal tout droit sorti du film « les hypercéphales ».
Depuis quelques mois le port du casque est obligatoire (non les ceintures de sécurité …) .
Avant d’enfourcher sa pétrolette Moussa a beaucoup de mal à visser sur sa pièce montée le superbe casque rouge peint d’ailes noires sur les cotés, le but étant qu’il tienne en équilibre sur son chef. A moins de coincer l’ensemble avec la lanière, sous le menton ?
Impossible, car de lanière, point ! Il a acheté ce casque au grand marché d’Habu Béné, un arrivage exceptionnel, un gros ballot de coques promises à la casse pour non-conformité, mais ici la conformité, on s’en fout!
Qu’à cela ne tienne, il coincera le casque entre ventre et guidon, de même que les 2 cartons de ferraille qu’il emporte chez le petit frère, et la bassine d’ignames que Fatou n’a pu emporter ce matin au petit marché, chargée comme elle était des 60kg de charbon de bois sur la tête, et le petit Saïdou qui, à trois ans, commence à peser sur ses reins. Il pourra donc dire à la police « regarde, chef, y a le casque là même !! Yéééé ! C’est même chose que sur mon tête, règlement il dit faut porter le casque, moi je porte, là ! ».
Il n’aime pas faire palabre avec eux car il devra encore donner cent francs/cent francs pour qu’ils aillent boire une Flag chez tantie Amwé.
Il pose son tapis de prière sous ses fesses, ça adoucit la selle éventrée. Moussa est content, aujourd’hui il ne travaille sur le chantier que jusqu’à 14 pièm, comme dit son chef d’équipe qui a bagagé au Nigéria où ça parle anglais. Ca fait bien d’être scienté comme le chef d’équipe qui a fait l’école. Lui déjà il parle la France, en plus de son dialecte haoussa.
Engoncé dans sa canadienne, sa tour babylonienne sur la tête et pieds nus dans ses tongues, Moussa démarre dans un nuage puant de gasoil trafiqué à l’huile de palme.
Commence le grand périple, la chevauchée fantaspiste, le gymkhana urbanisant, la grande aventure humaine matinale, la percée du bitume, les ballets pétaradant, les manèges s’emballant chacun en sens contraire, la marée des deux roues sur la descente du slalom spécial ,les rencontres inattendues entre âne et 4×4, moto bringuebalante et employée municipale en blouse écrue sur son boubou et masquée comme un chirurgien opérant la chaussée à l’aide d’un balai coco, les grands moulinets d’un policier faisant la circulation au seul feu qui n’est pas panné, les carrefours des huit routes où trois voitures forment déjà un bouchon sous les regards hébétés de deux policiers écroulés sur leur moto, coudes sur le guidon, qui attendent que le tissage soit serré pour intervenir, histoire de lier définitivement les fils de la circulation. Ici, on double à droite, les taximen sortent leur bras pour changer de direction au dernier moment, c’est un melting-pot poussiéreux et joyeux d’invectives et de klaxons où le temps n’existe pas et l’on s’en remet à Allah-Dieu ou Diable.
Ce n’est qu’un matin semblable à tous les autres au Niger ou ailleurs…
Eve de Laudec
26 décembre 2010