Je referme le livre de Pierre Perrin, Une mère, le cri retenu. Une nouvelle fois, après l’avoir relu, à l’envers, au milieu, entre les lignes. Un livre à ouvrir encore, riche. Un livre à prendre le temps de ressentir. Un récit grandement littéraire et poétique dans sa forme, un contenu d’explosion de sentiments, mêlé de propos philosophiques, un regard terrien évocateur d’une époque, et surtout une mise à nu sans concession. Admirable.
J’ai entendu en premier lieu, comme l’indique Pierre Perrin dès son titre, » le cri retenu » cette universalité du cri qui lie mère et enfant. Il commence aux douleurs de l’enfantement, puis au premier cri de vie de la naissance, et n’a de cesse tout au long de cette relation que même la mort ne peut rompre.
Doit-on dire qu’il n’est que douleur ? Non, ce cri lancé aussi à chaque joie, à chaque émotion, à chaque victoire, est le seul moyen d’expression reptilienne. Un cri ventral, tripal, silencieux, terrible. Une mère passe sa vie à crier la chair de sa chair, maladroitement, et l’enfant ne cesse de crier à la mère sienne, rêvée, adorée, haïe. C’est sans fin, c’est une osmose déchirée qui cherche, inlassablement, à recoudre les parts de soi et de l’autre en un seul entier. Ces parts qui voudraient se rejoindre, par le bon mot, le bon geste, le bon regard, le bon moment, et n’y arrivent pas.
Le récit de Pierre Perrin hurle la quête d’un amour maternel qui n’a pu, su, voulu s’exprimer.
Comment comprendre ce manque de tendresse, l’impossibilité de communiquer, la sécheresse affichée d’un cœur, le blocage de la caresse ?
Est-ce dû à une époque où les femmes dures à la tâche projetaient sur leurs enfants cette raideur d’éducation ? Aux regrets d’une vie qui fut un temps rêvée et n’est plus ? A l’incapacité de la mère d’extérioriser ses sentiments parce qu’elle reproduit ce qu’elle a connu enfant ? Ou par pudeur ? Faut-il y voir un refus de la maternité ? Ou un choix pour faire de son fils un homme ?
Au fil des interrogations adressées tout autant à sa mère qu’à lui-même dans le labyrinthe des possibles, on accoste aux nœuds de chagrin, que l’auteur tente de démêler. Il questionne sa mère plus librement depuis qu’elle est morte, et ce parcours d’écriture le conduit doucement à certaines réponses avec lesquelles il devra s’accorder, s’encorder. Tel un chemin initiatique vers l’originel, pour trouver force d’avancer à nouveau. Un travail de deuil qui met des années à commencer, jusqu’à l’apaisement.
Pierre Perrin évoque le pardon qu’il consent à celle qui lui a manqué, et le pardon qu’il peut enfin se permettre envers lui-même, impossible auparavant quand il pensait la détester.
La mère, éternel amour profondément ancré, reste vivante dans son fils, enfin il l’accepte telle qu’elle est. Elle l’enfante à nouveau. Peut-être faut-il attendre la mort de sa mère pour devenir enfin complet ?
Aimer n’est-il pas, dit-on, d’accepter entièrement l’autre avec ce qu’il peut donner, et non de rêver ce que nous voudrions qu’il soit ?
Une très belle histoire de vie, d’amour, de questionnement et de pudeur que nous offre ce récit autobiographique de Pierre Perrin dont je recommande vivement la lecture.
Extrait, page 34
« … Au secret, à tâtons dans la nuit, les yeux grands ouverts, j’ai entendu le cri du silence. Une effraie s’était posée peut-être sur une branche basse du prunier, sous la fenêtre aux volets fermés. Elle n’appelait pas, respirant à peine. Elle devait être là, comme demeure de ma mère le silence, seul vivant, tandis que de sa mort rejaillit le cri poussé à la naissance. Mais ce cri, de ne pas pouvoir atteindre la vie, reste silencieux. C’est notre angoisse avec ses coups de sang, ses campagnes de pâleur, et, entre eux, l’accoutumance au sourire, lancés que nous sommes sur les rails de l’existence ; c’est, ce cri du silence, la lente montée, dans notre conscience, de l’impuissance à ressaisir ceux qui nous ont précédés, aggravée de la certitude que nous ne survivrons pas davantage. Et pourtant, dans le même temps, les lèvres au sourire plus ferme découvrent que c’est bien ainsi, et que la merveille vaut d’être étreinte, sans répit, jusqu’au dernier souffle… »
Une mère, le cri retenu,de Pierre Perrin. Cherche Midi éditeur, ISBN 978-2-862-74845-0
Eve de Laudec 23/2/16
Heureux de ce beau témoignage qui vient après celui accordé à la lecture du livre de F. Balandier, Le Silence des rails avec la fin d’Eve : « Merci Franck Balandier de m’avoir choquée. » Voici une voie nouvelle à laquelle Eve s’exerce et qui va bien à l’expression de sa sincérité. Merci pour tout.
Pipistrelle, ne caresse pas trop mon ego de tes mains volantes, il pourrait bedonner au détriment de ma ligne…de mes lignes ! Merci de tes encouragements. Au fait, j’ai une peur bleue des chauve-souris…
Ta chronique me donne envie de le lire ce bouquin.
Il faudra que je me pose pour le faire.
Ailleurs que sur un manche de guitare ou un clavier de piano.
Je pense que l’on a de la mère une vision dure de l’enfance, l’est-elle vraiment, ou n’est-ce pas plutôt l’apprentissage de la vie qui paraît trop dur pour les oisillons?
C’est aussi la force de ce livre qui nous fait réfléchir sur la relation mère-enfant, et sur l’immense proximité entre amour et détestation
Heureuse si je t’ai donné l’envie! Bisous ma Kô
A mon retour, je me promets de me l’offrir. Merci Eve.